Raphaël Imbert

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Musical journey in USA # 11-12



le 16 juin 2010 



Day # 11-12 “l’herbe bleue des grandes montagnes embrumées”

 


Day # 11-12 “l’herbe bleue des grandes montagnes embrumées”

Connaissez vous John Hartford ? En tout cas, pour moi, il fait partie de ces gens qui ont disparus trop tôt, et que l’on aurait aimé connaître. Sa voix chaude, grave, sereine, me semble étrangement familière, comme la voix d’une personne de la famille que l’on a pas vu depuis longtemps mais que l’on reconnaîtrait dès les premières paroles au téléphone, après des années d’absence. Il est celui qui devrait vous réconcilier avec le bluegrass, si vous pensez toujours que c’est une musique de “Red Necks”. C’est une musique de “rednecks” en fait, mais est-ce une raison pour la mépriser ? John Hartford, lui, il a dépassé ces frontières, en devenant le célèbre compositeur de “Gentle on my mind”, tube chanté par tout le monde, d’Elvis à Dean Martin, le leader d’une séance magique avec Dave Holland et le génial Vassar Clements, et un entertainer de génie, jouant d’a peu près tout, dansant, chantant, dans un style personnel et ancré dans l’histoire de la musique des Appalaches. J’ai enfin trouvé un disque de John Hartford à Knoxville, et prenant la route, j’ai enfin savouré la voix dont je cherchais désespérément les disques en France.

La route. Chargée, cette fois. Tendue la conduite, sous une chaleur de plomb. Je vois la voiture juste devant moi faire un rapide coup de volant, pour contourner un morceau de roue de camion, ces camions énormes qui défoncent la route et laissent tout le long des highways les vestiges de leur pneus éclatés. Moi, je ne peux l’éviter. Je me le prends sous la voiture, un boucan du tonnerre, peu de contrôle de la voiture, coincé par les autres véhicules et les trucks énormes, au milieu d’une 4 voies. J’arrive malgré tout à me rabattre sous les klaxons, et à m’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence. La peur de ma vie. Visiblement, un bout de plastique de dessous la voiture frotte encore par terre. Je décide que l’autoroute “ça suffit”, je vais prendre la route des montagnes, et j’en profite pour trouver un garagiste, qui me demande juste 5 dollars pour la réparation.

Finalement, j’ai bien fait de sortir des grands axes. C’est enfin l’Amérique des routes intervilles, des dinners, des garages, des églises que je vois défiler, dans une ambiance sixties très agréables. C’est aussi, juste après, l’Amérique des montagnes, des parcs nationaux, des Appalaches, des “Great Smokies Mountains”, majestueuses. Cottages en bois, aigles dans le ciel, forêts luxuriantes, un bol d’air bien agréable après mon incident, et finalement pas beaucoup plus de temps pour arriver à Weaverville, chez Steve Trismen.

Que dire ? Environnement magnifique, mais maison modeste, très modeste. Un cabanon-cottage, sans clim’, ventilo et moustiquaire, dans le jardin d’une plus grande maison. Steve m’accueille avec entrain, il me montre tout de suite ma chambre, qui est en fait la sienne, il dormira sur la canapé. Il prépare à manger, me fait tout de suite écouter de la musique, me pose plein de questions sur mon projet. Mais je ne peux m’empêcher de ressentir chez lui une certaine lassitude, celle d’un violoniste free-lance, la cinquantaine, “single-man”, qui joue de groupe en groupe, de mariage en club. Je me lance tout de suite dans l’interview, pensant, je pense à juste titre, que le premier contact est le meilleur pour la spontanéité des réponses. La tradition ? “Je suis un pragmatique, j’aime faire danser les gens, et je pense que la musique est faîte pour ça. J’entends par tradition la musique qui a gardée cette fonction”. L’improvisation ? “Le bluegrass peut devenir, comme le jazz, une course du soliste à l’égo le plus sur-dimensionné. Dans le “Old Time” (mot très important) on jouait tous ensemble en cercle, sans compétition”. La communauté ? “Pas plus ici qu’ailleurs. Je suis un Yankee, de NYC. Je joue partout, mais il faut quand même avoir le pedigree pour être considéré comme un authentique bluegrassman”. Les nouvelles technologies ? Là, Steve se révèle étonnant. il aime utiliser des octavers, des pédales chorus. Il a même un violon midi, qu’il me montre, mais ne s’en sert plus. La discussion continue, passionnante, il a beau dire qu’il n’est pas musicologue, il a une grande culture. Il est même un des rares à bien connaître Alan Lomax, parmi mes interlocuteurs. “D’une certaine manière, il a sauvé notre musique. Elvis a tout tué. Bill Monroe, en un sens, a marqué de sa patte le bluegrass, et sans Lomax, on ne connaitrait pas les “Old Timers”.

Il me dit que ce soir, il y a un endroit où tous les lundis, il y a une jam-session bluegrass très prisée. “On peut y aller si tu veux, mais franchement, je n’y ai jamais vu de saxophone, et je ne sais pas qu’elle sera leur réaction”. Je lui dit que cela ne me fait pas peur, j’en ai vu d’autres !

On prend la voiture vers 10h, c’est une jam tardive, pour initiés. Effectivement, on se gare sur un parking glauque, on monte l’escalier d’un bâtiment inidentifiable. “Je ne sais pas si il y a quelqu’un, ça à l’air mort”. On pousse une porte, et on se retrouve dans la salle d’attente d’un cabinet d’architecte ! En fait, le propriétaire, musicien et amateur, laisse son bureau à disposition, même en son absence, ce qui est le cas ce soir. Au fond, ça joue, grave. Quatre musiciens en cercle sont déjà bien parti sur des tempos d’enfer, avec chant à la tierce, dans le pur style. Pas de bonjour. “J’ai amené un sax” , c’est juste ce que trouve à dire Steve... Et ça repart aussi sec. Ça doit vouloir dire que je peux tenter ma chance. Je prépare l’instrument, pendant qu’un mandoliniste énorme, dans tous les sens du terme, démarre un solo hallucinant. Vous savez, cette manière de faire défiler les notes très vite, tout en ayant l’air de pas y toucher, sans broncher, et avec un lyrisme incroyable. J’y vais.... Un solo de sax sur un two-step antédiluvien (en Sol évidemment, LA tonalité du bluegrass), certains pourraient crier au sacrilège ! Résultat ? Félicitations générales. Les sourires arrivent, on me demande mon nom, on vient me serrer la main avec énergie. Ça fait juste 10 minutes que je suis là... Mais ça redémarre à nouveau. Entre temps, les musiciens arrivent, d’autres repartent, Joseph, le mandoliniste, reste, un verre de gin coca perpétuellement à portée de main. Il est comme le maître des lieux. “Il a le pedigree, il vient de Mt Airy (la Jerusalem du Bluegrass), sa famille joue depuis des générations” me confie Steve, qui se révèle redoutable improvisateur. Banjos, guitares, mandolines, contrebasse, et moi au milieu, je vis une expérience unique, peut être la plus dépaysante depuis mon arrivée. Jon, un guitariste comme j’en ai rarement entendu, lance à volée “Ça fait du bien d’entendre du sax, vous n’en avez pas marre des cordes les gars ?”. Puisque je suis français et jazzman, on me propose un Django. Je suis sceptique, mais je n’ai pas le temps de réfléchir, le banjoiste qui jouait comme Earl Scruggs prend la guitare et entame “Minor Swing” comme si on était à Belleville. J’avoue mon étonnement de jouer ici cette musique : “Django et le bluegrass, c’est pareil. Ça a été une grosse influence pour nous tous depuis les années quarante”. J’ajoute que Django a commencé au banjo. Et on repars sur “Limehouse Blues”, pour mieux revenir au traditionnels locaux, avec chants harmonisés en trois parties, qui vous retourne l’âme et les oreilles. Quand on commence à envisager de s’arrêter, je regarde l’heure, il est deux heures et demi du matin ! J’en profite pour raconter les raisons de ma venue, et tout le monde trouve géniale l’idée que je revienne en octobre, et que l’on puisse venir avec une équipe de recherche et de tournage, pour prendre en live l’ambiance de ce lieu atypique. De toute manière “tu viens quand tu veux”.

Je me réveille le lendemain avec une drôle d’impression. Avant de me coucher, j’avais eu confirmation qu’Art Rosembaum, le célèbre peintre, banjoiste et collecteur de musique de Géorgie, pouvait me recevoir mercredi chez lui, à Athens, GO. De plus, les musiciens avec qui je suis en contact à Nashville sont en tournée, je ne pourrais pas les voir. Tout le monde à Asheville me dit d’ailleurs que c’est un peu l’usine là-bas, que je ferai mieux de rester ici, il y a pleins de concerts ou je pourrais jouer ! Donc, me réveillant, l’idée de reprendre la voiture en sens inverse pour 6 heures de route, en direction d’une usine à spectacle où je me retrouverai seul me refroidi de plus en plus. Depuis mon arrivée à NOLA, mis a part les heures en voiture, je n’ai jamais souffert de la solitude, comme cela avait été le cas à NYC, grâce à l’accueil, la gentillesse, la musicalité des gens du sud. Je ne veux pas me retrouver seul, ma famille me manque, mes amis, malgré les nouveaux que je me suis fait ici. Je ne veux pas non plus perdre de temps dans une ville inconnue, j’y reviendrai en octobre, accompagné, alors qu’il reste encore tant de chose à faire en Géorgie et en Louisiane. Je me décide, je repars vers le Sud, m’arrêtant voir Art en Géorgie, et peut-être ainsi devrais-je pousser jusqu’en pays cajun, ou j’ai quelques contacts et ou les jams sont parait-il ahurissantes, et passer quelques derniers jours à NOLA terminer les rencontres que j’y ai faîtes, avant de partir pour Taos, Nouveau-Mexique, rejoindre quelques autres grands musiciens. À n’en pas douter, je ne chômerai pas de toute façon !

Mais avant, Steve me fait rencontrer Cary Fridley, une chanteuse et bassiste d’Asheville dont je connais le travail magnifique grâce à Paul Elwood. Cary vit dans une maison assez jolie, mais déserte, car en fait sa maison a brulée il y a un mois, sans ces instruments heureusement, mais avec toutes ses affaires. Elle loue cette maison sans histoire en attendant les réparations et l’assurance. “C’est dans ces moments là que l’on voit la force de la communauté des musiciens ici, tout le monde m’a aidé”. Steve ne dit rien, c’est un grand musicien, un peu désabusé c’est tout. Les questions que je pose à Cary trouvent en elle visiblement quelques résonances, surtout du fait qu’elle enseigne le bluegrass, à l’université d’East Tennessee, le premier master en la matière. Il y a un terrain d’expérimentation pour octobre passionnant, entre l’enseignement académique et le terrain traditionnel, qui rappelle les problématiques que l’on a évoquées sur le Jazz. D’ailleurs, on met les choses en pratique, et l’on commence à jouer, des chansons dont je n’ai jamais entendu parler, des chansons qui racontent la mort, l’amour, le départ, le manque, la route. Bref l’Amérique. Des chansons de mers à 600 km d’elles. Genre “je t’attendrai toujours, sur le port, j’attendrais le retour du vaisseau, tu me manques” Cary d’ajouter “bien sur, on y croit ! La fille elle a un nouveau boy-friend et se siffle des margaritas” et d’éclater d’un rire tonitruant. Jon, le guitariste incroyable de la veille, nous rejoint et sors la guitare. On se met sous le porche de la maison, oiseaux, vieux chênes, on joue trois heures durant, c’est beau à en pleurer ces chansons, tout le monde joue décontracté et passionnément, je m’y crois vraiment, dans le Sud des USA....

Je quitte Cary, Steve, Jon, le coeur gros, sous une pluie battante. Je traverse à nouveau les montagnes, mais côté ouest. J’ai décidé de m’arrêter à la frontière géorgienne. C’est facile à repérer, c’est là ou il y a des magasins “Guns & Knifes”. Dans la vallée, vers Atlanta, le ciel est totalement noir, les éclairs nombreux comme jamais je ne l’ai vu. Je me retrouve à Cornelia, au milieu d’un orage démentiel. Je stoppe enfin la voiture, la peur au ventre, sur le parking d’un motel. Je vous écris depuis ma chambre. Vous me manquez mes amis, comme me manqueront mes amis américains. Mais je sais que je vis des moments précieux.



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