Raphaël ImbertMusicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique dans la grande famille du Jazz et des musiques improvisées, artiste et pédagogue exigeant, arrangeur et improvisateur recherché. L’un de ses domaines de prédilection est le spirituel dans le Jazz. ActualitésTextesExtraitsLiensAgenda |
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Musical Journey in USA round 2#Day 2 "Two Step"L'observateur observé (ph. E. Parent)
Chaz Washboard Blues Trio (Ph. E. Parent)
New Age in NOLA (E. Parent)
Par Raphaël Imbert Presque une année sépare mon précédent voyage de celui-ci, pourtant on a toujours l’impression de n’être parti que depuis peu. Les même visages, certains vous reconnaissant comme si vous habitiez le quartier, les mêmes odeurs, les même sons. A la différence que nous approchons du Jazz Fest, et qu’il y a une effervescence dans l’air bien différente de celle que j’avais vécue en juin dernier. Juin était en fait presque une saison morte, et avril-mai le grand moment de la musique à New Orleans, en dehors du Mardi Gras. Beaucoup de musiciens qui étaient en tournée en juin sont de retour pour ne pas rater cette période où les touristes et les amateurs de musiques arrivent par milliers. Les rencontres s’annoncent donc passionnantes et enrichissantes, tout en admettant qu’il va falloir s’accrocher pour arriver à leur prendre des instants de libre pour les interroger, la plupart d’entre eux enchaînant 3 ou 4 gigs par jour. Un challenge palpitant pour moi et Emmanuel, profitant de son regard inédit et émerveillé sur cette ville qui vibre désormais aux sons des second lines. Mais entre les deux voyages, de l’eau est passé sous les ponts, et je ressens désormais une sympathique ambivalence due à certaines expériences que j’ai vécues entretemps. D’abord, j’ai enfin vu la saison 1 de « Treme », cette série de HBO qui raconte la situation post-katrina de quelques personnages significatifs de la ville, dont beaucoup de musiciens qui jouent leur propre rôle, et dont je ne connaissais même pas l’existence lors de mon premier voyage. Cela peut paraître prosaïque comme réflexion, mais tout le monde m’en avait parlé alors, et quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur le produit (en ce qui me concerne plutôt positif), il serait imbécile de ne pas reconnaître l’impact qu’a eu cette série à succès sur la vie musicale de New Orleans. J’ai aussi enregistré un disque sur mon expérience sudiste, à chaud, en juillet dernier, 15 jours après mon retour. Profitant d’une séance live organisée à l’avance avec le label Zig Zag Territoires, j’ai composé une suite qui raconte ce premier voyage, avec Gerald Cleaver, Joe Martin, Stephan Caracci (« Live au Tracteur » chez ZZT), dont une des parties est un hommage en guise de reconnaissance à la passion et la perspicacité de Jean Jamin (« Jammin’ with Jamin »). Nous avons aussi organisé une journée OMAX à Marseille avec Gerard Assayag et Benjamin Lévy de l’IRCAM, qui s’est conclue par un concert OMAX-Cie Nine Spirit remarqué J’ai aussi bénéficié des remarques et des conseils avisés de Marc Chemillier et de Jean, ce dernier nous invitant Emmanuel et moi à présenter notre travail dans le cadre des journées d’étude du LAHIC, à Carcassonne. Devant cet auditoire, en présence de Daniel Fabre ou Marc Augé, je me sentais débutant, et Jean se révèla un batteur qui n’a rien perdu de son swing ! C’est d’ailleurs avec le récit d’une vie d’ethnologue de Marc Augé (« La vie en double » chez Payot) que je retourne à New Orleans, et cet ouvrage me sert presque de guide ésotérique dans ce deuxième travail de terrain. L’errance personnelle et géographique comme le dédoublement du chercheur y sont décrits avec précision dans une langue devenue rare. Une phrase pourrait nous servir de slogan, dans le cadre de notre terrain, mais aussi, plus prosaïquement, dans le cadre professionnel de mes activités musicales qui subit le règne des experts dans l’arborescence administrative qui régit la culture en France : « (…) C’est le fait de revenir qui prouve le sérieux de l’enquête et la réalité de l’intérêt porté par l’ethnologue à ceux chez qui, avec qui et sur qui il travaille. Les « experts », eux, ne reviennent jamais ». Et il est vrai que cela se ressent précisément, dans les mails échangés, les coups de fil, les rencontres impromptus, les interlocuteurs manifestent leur approbation, souvent même leur plaisir de nous revoir. En cette première journée à New Orleans, j’emmène Emmanuel pour lui présenter Sarah Quintana, cette remarquable jeune chanteuse qui m’avait si bien introduite dans la communauté des musiciens d’ici. Elle nous invite de manière impromptue à un déjeuner entre colocataires dans le patio de son immeuble, le temps est idéal pour cela. Seule ombre au tableau, le bloody mary, boisson salée à la vodka, que les gens d’ici boivent en journée, pour préparer la soirée, comme un soda ! Comme toujours ici, un simple déjeuner se transforme en source importante d’informations et d’échanges. Il y a là un jeune fiddler bluegrass, et aussi Leyla, une jeune violoncelliste dont les parents sont Haïtiens, qui joue Bach dans la rue, travaille avec Sarah sur un spectacle autour des chants créoles et francophones, et prépare un album sur Langston Hughes. Et qui sera le producteur de cet album ? Tim Duffy et Music Maker, pardi ! Le monde est petit, et la communauté des musiciens est un village. Rendez-vous est pris pour une session d’interview musicale. Emmanuel trouve même l’occasion de trouver un pied de caméra que lui prête Chris, un des colocataires présents. Nous parlons également du ChazFest, un festival parallèle que des musiciens locaux ont organisé en réaction à la marchandisation galopante de l’énorme JazzFest. Une sorte de pendant sudiste au « Newport Rebels » que Mingus avait organisé face au Newport Festival au début des années soixante. Il y a des festivals pour tout en Louisiane (huître, écrevisses, bières, etc.) mais celui-là, qui porte le nom d’un des musiciens emblématiques de la ville, Chaz Washboard, est particulier en ce qu’il illustre leur capacité de réaction. Cela aura lieu le 4 mai, et j’aurai la chance d’y jouer avec Sarah, et d’y faire des rencontres inédites. Nous partons ensuite à la rencontre de Bruce Sunpie, le ranger du National Park consacré au jazz, chanteur et musicien remarquable, mémoire du lieu et lien social à lui tout seul. Il est membre des Black Men of Labour, l’une des plus anciennes et prestigieuses organisations afro-américaines de la ville, et il occupe la place de Second Chief du North Side Skull & Bones Gang, également l’une des plus anciennes organisations afro-américaines du carnaval. Sunpie m’avait déjà beaucoup aidé en juin dernier, il répond encore présent en nous donnant rendez-vous à un bar de Frenchmen Street. Le problème avec les hommes publics comme Bruce, c’est qu’ils sont connus ! Durant notre entrevue, de nombreuses personnes viennent « s’associer » à notre conversation, des Jack, des Brad, des George et beaucoup d’autres, qui connaissent visiblement très bien la musique de New Orleans tout en passant beaucoup plus de temps à la terrasse des cafés que dans les clubs. Malgré tout, George nous gratifie d’un récit épique, ironique, somme toute hilarant, sur les 6 jours qu’il a passé dans le Superdome après le passage de Katrina. Les autorités n’avaient rien trouvé de mieux que d’enfermer dans le plus grand stade couvert des USA des milliers de personnes parmi les plus pauvres incapables de sortir de la ville, avec un résultat que l’on devine aisément : l’un des pires cauchemars de l’histoire du pays. Et tout le monde de rire des remarques de George sur les disfonctionnements du service d’étage du Superdome lors de cette party entre amis ! L’humour peut tout sauver, même si cela fait froid dans le dos. Après nous avoir distillé des informations intéressantes sur les racines musicales des musiques locales (le fameux « same old shit » dont Emmanuel parle dans son billet) Sunpie nous met dans une situation inédite : il sort l’appareil photo, un leica dernier cri, et incidemment nous prend en photo, rappelant que lui aussi, il est intervieweur et collecteur d’information sur la ville, tout ce qui a trait à la ville et à ceux qui s’y intéressent ayant droit visiblement à sa curiosité. L’observateur est observé, et face à l’afflue croissant de personnages plus ou moins haut en couleurs qui souhaitent « s’entretenir » avec lui, nous lui proposons un rendez-vous formel au National Park. Il me propose même de venir jouer lors de leur show hebdomadaire. C’est à mon tour de le surprendre en lui apprenant la mort de Slewfoot. Deux semaines après l’événement, il n’était toujours pas au courant. Slewfoot était tous les jours sur les rives du Mississipi, à quelques dizaines de mètres du bâtiment du National Park, mais il faut croire que le « village » des musiciens a quelques frontières invisibles, entre le homeless poète de la rue, et le fonctionnaire touche à tout, comme deux étoiles d’une même constellation qui se voient mais ne se croisent pas. Ils n’auront plus l’occasion de se rattraper. Non loin de là, Chaz Washboard justement joue au Spotted Cat avec son Blues Trio. Tubes des stars du genre et vieux fond musical issu des tréfonds de l’histoire, joué par une formation minimaliste mais parfaitement dynamique (Dobro-washboard-harmonica) donne une ambiance lazy, campagnarde, parfaitement sudiste. Nous lui parlons de notre projet, sachant que nous le verrons notamment lors du festival qui porte son nom. De toute façon, Chaz est partout, il était même l’année dernière sur les affiches d’une campagne de pub anti-tabac. Il est temps de rentrer, le jet-lag fait dangereusement son effet, d’autant que, demain, nous avons rendez-vous avec une légende du blues, Alabama Slim, qu’Emmanuel a déjà rencontré pour une interview passionnante autant par les mots que par les silences du bonhomme. |
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