Raphaël ImbertMusicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique dans la grande famille du Jazz et des musiques improvisées, artiste et pédagogue exigeant, arrangeur et improvisateur recherché. L’un de ses domaines de prédilection est le spirituel dans le Jazz. ActualitésTextesExtraitsLiensAgenda |
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Musical journey in USA round 2 le 12 octobre 2011
HiHo Lounge : the dancer’s true academyPar Emmanuel Parent (texte et photos) Nous reprenons le fil de notre journal de bord, après un retour et une rentrée chargée et riche en concerts, événements, recherches, pour Emmanuel et Raphaël Jeudi 21 avril, 22h30. J’arrive en vélo sur Saint-Claude Avenue, à la limite du faubourg Marigny et du 7th ward, les perceptions dilatées par l’atmosphère nocturne et mes sens en alertes. Un peu impressionné, forcément. C’est ma première incursion de nuit dans les quartiers noirs. Même si nous ne sommes qu’à la périphérie, l’ambiance à l’extérieur du club achève de me convaincre que j’ai bien franchi la color line. L’homme à l’entrée qui me demande $5 mesure dans les 2 mètres. Il a une stature de footballeur, américain s’entend. Toutes les dents supérieures en or. Habillé en blanc de la tête aux pieds, il porte une casquette des New York Yankees blanc sur blanc, de laquelle émergent de fines dread locks. Il a un survêtement uni, et des Nike ‘Air force one’, blanches bien sûr, ce modèle qu’on appelle à New York les ‘uptown’, tant elles symbolisent de façon univoque la culture noire de Harlem. Mises à la mode par la rappeuse Missy Eliot au milieu des années 1990, ces chaussures cumulent ironiquement deux symboles du pouvoir américain – la blancheur immaculée et le nom du fameux avion présidentiel. Je pénètre dans le petit club racheté par un couple après Katrina. Sarah Quintana m’en retrace l’histoire, le jour du festival alternatif Chazfest, le 3 mai suivant : « John et sa femme ont repris ce vieux club, il l’ont rénové donc c’est beaucoup plus propre. Il y a plusieurs scènes qui viennent s’y produire les soirs de la semaine. Le lundi c’est bluegrass, le mercredi c’est les fanfares de la rue, puis aussi Jonathan Freilich, Alex McMurray, on joue tous à hi-ho. C’est aussi un lieu ouvert à la programmation extérieure, et des musiciens y produisent leurs soirées. Ça danse swing, il y a des nuits de swing, de brass band, de funk. Ils programment même parfois du Circus, c’est-à-dire aux États-Unis les spectacles bizarres, side show, les gens qui mangent le feu, les couteaux, les clous, le hollyhop… C’était le propre du Hi-Ho avant Katrina. » Tous les jeudis, la soirée est assurée par le STOOGES BRASS BAND. À l’intérieur, avant que les musiciens ne s’installent, la musique bounce rap règne en maître. Je demande au serveur ce que nous entendons. Il marque sur mon carnet : BLACK N MILD. C’est une sorte de raggamuffin électro et hip hop ultra rapide et agressif dans la scansion. J’achèterai plus tard un CD de ce groupe, « au cul du camion » sur un petit parking non loin de là. Le Bounce rap se situe clairement dans la mouvance du Gangsta rap californien (voir les featuring de Snoop Doggy Dog sur l’album de C-Murder « Bossalinie », 1999). Mais sa particularité est de s’appuyer sur le rythme bounce. Selon Bruce ‘Sunpie’ Barnes (un musicien polyvalent, initié de différents cercles, pédagogue, et ethnomusicologue dans le cadre de son travail au Jazz National Park de New Orleans, avec qui nous avons fait trois entretiens), le rythme bounce est propre à la Nouvelle-Orléans. Il remonterait directement aux danses des esclaves à Congo Square au XIXe siècle. Il a en tous cas traversé le jazz (Jimmy Lunceford a composé des morceaux sur ce rythme, me dit Raphaël). Il est utilisé aujourd’hui par les fanfares brass band funk qui animent les Second line. « Just that same old shit », me dit Sunpie, alors qu’il frappe le rythme bounce avec un crayon sur la table de la Marigny Brasserie où nous le rencontrons la première fois. La musique bounce rap, qui est donc spécifique à New Orleans (« I guess the sound is exotic to the people from the rest of the country » dit Sunpie), semble avoir vécu son heure de gloire médiatique avant Katrina. On ne trouve plus de disques de Bounce rap dans les recordshops de la ville. Pourtant, cette musique est toujours intensément écoutée par la communauté noire, dans les pick-up qui passent dans la rue avec les basses saturées, dans le cortège avant des second line, dans les bars appropriés… Ce niveau sonore ne dérange absolument pas les danseurs présents au centre de la piste, qui se mettent immédiatement en mouvement. Le ‘Ring shout’ que j’avais commencé à observer sans trop y croire le dimanche précédent, se remet instantanément en place. Deux ou trois danseurs se mettent à danser au centre du cercle, et concentrent l’attention de tout le public qui frappe dans les mains et danse en les observant. Au bout d’un temps assez court (une à deux minutes), ils se refondent dans le cercle et d’autres danseurs prennent le relais. Par rapport à la second line cependant, le niveau de danse s’est incontestablement élevé. Les danseurs présents au centre de la piste sont d’une grande qualité. Je me rends bientôt compte que ce sont eux le véritable clou du spectacle. Sarah Quintana m’expliquera plus tard que le groupe sur scène vient souvent avec son ‘following’, et que parfois les danseurs principaux sont payés, au même titre que les musiciens. Je retrouverai d’ailleurs les mêmes musiciens et les mêmes danseurs trois jours plus tard, lors de la second line des quartiers noirs uptown, organisée par le Pigeon steppers social and pleasure club (1994). Tout est affaire de communautés, de micro-communautés même (ou plutôt de communautés emboîtées). Les photos de danseurs (deux femmes, un homme) jointes à ce texte sont ceux que j’ai reconnus trois jours plus tard dans la rue lors de la parade des Pigeons Steppers, en haut de la ville. Les danses semblent très codifiées. Il me faudra me plonger dans la littérature académique existante à ce sujet pour en savoir plus. Avec cette idée que la performance dansée retient peut-être davantage l’histoire musicale d’un lieu où d’une communauté que ne peuvent le faire les musiciens – et sans que cela fasse l’objet d’un savoir formalisé et discursif (voir sur ce point les travaux de Lhamon sur les pas de danse minstrels qui se transmettent sur plusieurs générations, au nez et à la barbe de leurs censeurs). C’est peut-être ces corps dansant qui sont le véritable conservatoire de la musique et de la culture afro-américaines, cette troisième institution dont parlait Ralph Ellison. C’est dans les corps qu’on peut le mieux dissimuler les savoirs communautaires réprimés par ailleurs. Est-il besoin de préciser que tous ces danseurs s’affrontent en permanence ? L’esprit du battle est le fil dramatique de la soirée, le centre du spectacle. (Les musiciens sont à l’extérieur. Ils sont là pour produire du son. On ne les écoute pas pour leur musique. Dès qu’ils s’arrêtent, c’est le bounce rap qui reprend ses droits, diffusé depuis le bar.) Le battle, donc, semble parfaitement réglé. Les conflits permanents entre danseurs se résolvent par le retrait du danseur qui est là depuis plus longtemps, pour laisser place à celui qui est venu le défier. La règle implicite semble être : « Tu peux occuper le dancefloor que si tu n’empêches pas un meilleur danseur de s’exprimer et de s’illustrer. » Raphaël a pris une vidéo intéressante, sur la place de la cathédrale Saint-Louis, trois jours plus tard. Un brass band joue pour les touristes. Un grand Noir de 40 ans assure la danse, en faisant office de maître de cérémonie ou de Grand marshall ad hoc. À un moment, une jeune femme d’origine asiatique se met à effectuer des pas de danses qui ne sont pas dans la tradition New Orleans. Elle danse hip hop, ce sont des pas de break dance au sol. (Si on devait rattacher cette danse à un lieu, ce serait le Bronx à New York.) Qu’importe. Elle fait montre de virtuosité, et le danseur noir s’empresse de lui tourner autour avec des pas saccadés, en venant la défier. Ce faisant, il la met à l’épreuve tout autant qu’il reconnaît la qualité de son intervention dansée. Sa virtuosité (et non pas son respect de certains pas traditionnels qu’il faudrait impérativement maîtriser) a suffi à légitimer sa place. On se croirait dans les livres de William Lhamon quand il décrit les transactions dansées commerciales sur Catherine Street market dans le New York des années 1820. [À ce propos, il serait intéressant de revenir sur le terrain avec un danseur hip hop français professionnel. De la même façon que Raphaël a su s’imposer sur les différentes scènes que nous avons rencontrées, sans pour autant jouer toujours exactement dans la tradition du moment, il serait intéressant d’essayer de pénétrer des cercles de danseurs avec un danseur français exogène. Je suis sûr qu’il se passerait la même chose : les réactions extrêmement positives que Raphaël a su déclencher – quand une réputation orale a commencé à circuler sur lui parmi les musiciens de Frenchmen Street, après seulement deux semaines de présence sur place, dixit Brad, notre informateur de la Marigny Brasserie. Cela pourrait venir densifier encore un peu plus notre dispositif d’observation et de recueil de données.] À un moment, j’observe un conflit qui dure plus longtemps que prévu. Un petit homme avec quelques dents en or, que je recroiserai de nombreuses fois dans la suite de mon parcours à New Orleans (c’est lui qui descend du tram sur la photo), danse moins bien que les autres à l’évidence. Mais il essaie de s’imposer malgré tout et revient systématiquement au centre de la piste. Pour l’évacuer, d’autres danseurs exécutent des pas de plus en plus virtuoses. La tension augmente, et on le pousse vers l’extérieur, sans les mains mais avec des positions de corps. La femme en orange vinyle intervient alors en faisant une marche dansée, sorte de parade avec le buste en avant qui me rappelle le Bird Step qu’on voit parfois dans les shows TV soul train des années 60 (voir également dans Les Blues Brothers, la scène de danse collective délirante dans le south side de Chicago avec Ray Charles – « do the bird, do the bird »). Puis, la danseuse éclate de rire en se retirant immédiatement de la piste, comme si elle savait que ce n’était pas à elle de résoudre le conflit dansé entre les deux hommes. Parce qu’elle est une femme ? Ou bien a-t-elle tout simplement effectué un signifying dansé pour chambrer le petit danseur aux dents en or et habillé en noir qui se prenait pour plus gros qu’il n’était. « Pick that poor robin clean ! » disait-on dans les années 1930 sur les scènes noires d’Oklahoma City ou de Kansas City. Le battle de danse n’a semble-t-il qu’un seul but : l’excellence et la virtuosité. Il mérite alors d’être comparé aux jam sessions musicales, qui pour Ralph Ellison étaient « the jazzman true academy ». La pause arrive. Dehors, une autre institution s’est mis en place : la soulfood et les barbecue ribs. Deux pick-up sont garés à l’extérieur du club, avec des grills installés à l’arrière, des glacières remplies de glace pour les bières et des pots de sauces piquantes sur le toit, exactement comme lors de la second line. L’odeur de porc grillé envahit Saint-Claude avenue, rendant l’endroit irréel, à minuit dans ce quartier noir de New Orleans. L’ambiance est assez détendue. La majorité des personnes présentes ce soir est noire, mais les Blancs sont tout à fait acceptés et intégrés. De ce que je peux en juger, il s’agit de touristes et de quelques hipsters blancs. Ils ne participent pas toutefois à la danse, et au rituel du Ring Shout. Je finis par me décider à rentrer chez moi, avant la fin du second set. Mal m’en a pris. Raphaël, qui arrive tout juste de l’aéroport et que j’avais prévenu par mail de ma soirée au Hi-Ho Lounge, a décidé de me rejoindre vers 1h du matin, quelques minutes après que je sois parti. 1 Message |
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