Raphaël Imbert

Actualités

     

Textes

     

Extraits

     

Liens

     

Agenda

     
 

Musical journey in USA # 8



le 12 juin 2010 



Day # 8 “From Drink house to Church house”.

 

Ron & Cpt Luke at Cpt house

Day # 8 “From Drink house to Church house”.

Je comprends mieux maintenant ce que rouler veut dire. Traverser cinq états pour aller d’un point à un autre, c’est un concept ! Et quand je lisais les “tour list” des big bands des années trente qui jouaient dans un état un jour et dans un autre le lendemain, en bus, je ne pouvais m’imaginer réellement ce que cela signifiait jusqu’à aujourd’hui. Me voilà enfin arrivé en Caroline du Nord, à Winston-Salem, l’endroit qui a vu d’ailleurs naître le concept de Music Maker Relief Foundation, la fondation de Tim Duffy qui aide les musiciens du Sud dans leur travail et surtout à supporter une vie dure et souvent tragique. Je vous écris de la maison de Big Ron Hunter, un artiste Music Maker, une modeste maison dans un quartier verdoyant. Il m’a offert l’hospitalité comme si j’étais de la famille. En fait, j’en suis un peu, de la famille, je suis musicien. À peine arrivé, Ron n’est pas avare d’informations, de proposition, d’échange, de question. Il me montre sa maison, dont il est fier, il a travaillé dur toute sa vie pour pouvoir nourrir sa famille et payer cette maison. Les photos de ces enfants et petits-enfants trônent sur les murs, au milieu d’images pieuses et d’évocation militantes, comme ce double portrait de Martin Luther King et Barack Obama (MLK : “I have a dream” / Obama : “I am the dream”). Vite il montre la chambre d’ami, c’est là que je dormirai ce soir. Car il a un programme pour moi. Mais avant de m’embarquer en ville, nous prenons le temps, car c’est la devise ici : “take your time, be safe”, nous prenons le temps donc de discuter un peu, et rapidement je sors l’enregistreur car je sens que l’homme a beaucoup à raconter. D’abord, sur son rapport au blues : “Tu sais, beaucoup de bluesmen sont “falling in blue” (entendez entré en dépression), à force de chanter le blues strict. Et le blues c’est une forme, généralement 12 mesures, qui peut donner une impression de détresse. Moi j’aime la vie, la vie est meilleure de jour en jour, et j’aime raconter cela. J’aime le blues, mais j’aime surtout raconter ma propre histoire, mes propres impressions”. Il n’est pas le “world’s happiest bluesman” pour rien ! L’église est importante pour lui, il n’a quasiment pas raté un service dominicale depuis des décennies, et il n’est pas peu fier d’avoir amené des chants baptistes dans son église méthodiste. Même si parfois, ses performances professionnelles en tant que bluesman dans le monde profane n’ont pas été forcément appréciées par ses coreligionnaires. Ron a travaillé dans toutes sortes de boulot pour la famille, en continuant de jouer là où on le demandait, l’église représentant parfois l’essentiel de son travail musical. Il faisait parfois plusieurs centaines de miles entre un engagement, son travail, un service, jusqu’à ce qu’il ait eu une attaque, et que cela lui ait vraiment donné envie de “prendre son temps”. Music Maker lui a redonné un second souffle dans sa carrière musicale, même si il garde très précieusement son art de vivre très sudiste. Je ne crois pas avoir rencontré depuis longtemps de musicien si attachant, et de voix si intimement personnelle. Son “Goin’ for my Self”, sur son dernier album, est un chef d’oeuvre d’humanité. Je l’interroge sur son rapport à la tradition : “J’ai voulu imiter tout le monde, James Brown, Muddy Waters, BB King (qui a aidé Music Maker en faisant une importante donation), Jimi Hendrix, jusqu’à ce que je comprenne que je devais être moi-même”. Son rapport à l’improvisation : “le meilleur moyen de rester créatif”. Sa manière de jouer la guitare et d’utiliser l’acoustique ou l’électrique, question qui revient très vite sur les problématiques de styles : “j’ai beaucoup appris des banjoistes bluegrass, après tout, nous avons créé le banjo, et il n’y a pas de frontières de côté là. J’aime cette manière de jouer en pickin, j’ai ainsi inventé mon propre style de guitare que j’ai l’habitude de nommer “two squirrels style” car on dirait deux écureuils sautant de branches en branches, comme ceux que l’on peut voir ici.” Il me fait la démonstration à la guitare de ce style, très personnel en effet, et du picking dont on parlait juste avant. Je lui demande si ce n’est pas typiquement nord-carolinien comme jeu et comme mixture. Historiquement, la Caroline du Nord, les Smoky Mountains et l’est du Tennessee sont le centre névralgique de la musique folk, où paysans d’origines écossaises, allemandes, celtes, et esclaves fugitifs ou non d’origines africaines ont mixé leurs différentes cultures musicales. Je lui parle, en guise d’illustration, d’Elisabeth Cotten, la fameuse chanteuse et guitariste de “Freigth Train”, si proche dans la manière de jouer en picking. On écoute Elisabeth Cotten sur mon ordinateur, le nom de Doc Watson revient immanquablement dans la conversation, et il illustre le propos de nouveaux avec d’autres exemples musicaux, notamment ses propres compositions, magnifiques. Mais il veut m’emmener voir quelques personnes, dont un ami qui a un studio en ville, mais qui se révèle très occupé en ce moment. Nous prenons ma voiture, en route vers un centre commercial pas très attrayant de prime abord. Ici, il y a un “liquor store”, un magasin d’alcool. Il me présente le patron, qui, me dit-il, est un excellent saxophoniste. Très vite, en discutant, je découvre qu’il s’agit de Courtney Winter, un des saxophonistes de Carla Bley, Muhal Richard Abrams, et de bien d’autres séances légendaires (Ron me dit que c’est lui qui joue sur “What’s going on” de Marvin Gaye, ce dont je doute). Il a finalement renoncé à sa carrière et acheté cette boutique pour des raisons familiales, personnelles, l’éternelle raison majeure du “retirement” de si nombreux artistes aux USA. Je suis encore sous le choc de cette rencontre quand Ron m’emmène dans un quartier de logement sociaux de Winston-Salem. On sonne à une porte d’une minuscule maison, on monte les escaliers, et là, dans l’obscurité presque totale, dans une pièce minuscule, on se retrouve nez-à-nez avec un homme de 82 ans, Capt Luke, une légende, l’une des plus belles voix de basse que l’on peut entendre (je vous conseille vivement sa vidéo sur youtube “How to sing bass” et je vous laisse deviner ce que veut dire “pumpkin pudding”... ). Il est heureux de me rencontrer, même si il m’avoue être étonné d’avoir maintenant plein de demandes d’interviews du monde entier. Il écoute mes questions avec bonhommie, cigare perpétuel à la bouche, et au bout de quelques minutes, me regardant avec malice, il me dit : “si tu veux savoir d’où je viens, il faut que je t’emmène chez Gloria’s”. Il se lève, en profite pour me montrer ces handmade crafts, de superbes cendriers et voitures qu’il fait avec des canettes récupérées, et s’absente quelques minutes pour revenir, magnifique, transformé, casquette de capitaine, petite cravate nouée directement sur le cou, la classe intégrale comme on dirait chez nous, qui, parait-il, rend Capt Luke encore très coté auprès de la gente féminine. Il prend sa voiture, on le suit, en tout cas on essaye, il est rapide le conducteur ! Et on se retrouve devant une maison très banale du quartier noire de Winstom-Salem, Capt Luke sonne, une femme de prime abord peu avenante ouvre, nous regarde comme si on était des témoins de Jéhovah, et finalement nous laisse rentrer, traverser sa maison, et nous voilà dans une minuscule pièce du fond, avec table formica, quelques cafards au mur, télé, chaine hi-fi bas de gamme, petit bar et frigo. Je suis dans un Drink House, ces endroits pas très légaux, chez un particulier, où tout le monde montrant patte blanche peut venir boire des bières et alcools pour des sommes modiques. Je suis au coeur de l’histoire du blues en Caroline du Nord, je suis au coeur de l’histoire de Music Maker, puisque c’est ici que Tim Duffy a commencé son travail en enregistrant le légendaire Guitar Gabriel, celui qui a expliqué à Ron Hunter comment trouver sa propre voix, celui qui jouait avec Capt Luke, autant dans les églises, dans la rue et dans ces Drink Houses qui représentaient le coeur social de la ville, là ou les fermiers trouvaient des ouvriers, là où certains pouvaient demander crédits à la patronne, voire même emprunter de l’argent. En quelques minutes défilent jeunes, anciens, femmes, hommes. ça blague, ça charrie, ça discute, ça prend son temps, ça me demande d’ou je viens, ce que je fais ici. La patronne va même jusqu’à m’offrir une bière (Natural Ligth, le must parait-il....bon), visiblement une révolution ! Un ancien, un magnifique black de la classe de Capt Luke me dit qu’il connait la France, qu’il y est déjà allé. “Quand ?” je lui demande. “En 1944, pour le débarquement, j’ai 82 ans, j’ai été à l’école avec Capt Luke. On est allé botter le cul à Hitler. Mais il parait qu’il était juif m’a-t’on dit ?”. Je ne sais pas quoi lui répondre, je vous avoue que depuis que je suis avec Capt Luke et sa remarquable manière de transformer toutes les significations des mots (Chicken ça veut dire alcool apparemment, pumpkin pudding et mule, je vous laisse deviner) je suis un peu décontenancé par la manière et l’accent d’ici, mais Capt Luke se lance dans des imitations des personnages de la seconde guerre pour le plus grand bonheur de tous, détournant la conversation. Il est visiblement le maître des lieux, il se tourne vers moi : “tu vois, là tu peux comprendre d’où je viens”. Du temps passé ici, à boire des bières et causer, ça vaut des heures d’interviews. D’autant que Capt Luke et Ron, dès que la radio passe des tubes R&B et Hip Hop de maintenant, se révèlent d’excellent connaisseurs des musiques actuelles, que ce soit les paroles, les interprétations (“J’aime bien Beyoncé, mais je préfère celle qui chante maintenant à la radio. C’est qui ? Alicia Keys ?” dixit Capt Luke) les danses, que Capt Luke produit avec bonheur. Je ne sais comment, la Natural Ligth commençant malgré tout à faire effet, j’en arrive à répondre aux questions de Capt Luke sur ma musique, et mon travail, et il semble très intéressé par OMAX, comme Big Ron, qui n’est pourtant pas amateur de pédales et d’effet (“trop de problèmes alors que tu peux le faire toi-même”). Je leur propose d’organiser en octobre une session, pour le projet de documentaire également. Ils sont assez partant, visiblement. A ce moment là, arrive Tim Duffy et son équipe, qui viennent d’enregistrer Benton Flippen à Mont Airy, un remarquable violoniste bluegrass de 90 ans. Nous sommes dix dans une pièce qui devrait en compter cinq. L’ambiance monte, on discute à bâton rompu avec Tim, qui est très heureux de ma présence. Il est totalement investi dans son projet, son style d’échange, par mail ou oralement, ne s’embarrasse pas de métaphore et reste très très direct, avec un bon accent du Sud et une profusion de “slang” totalement non académique. On dirait qu’il essaye de rattraper le temps perdu et de prendre le plus de musique possible avant que ces trésors nationaux ne disparaissent. Je n’aurais pas le temps de réellement l’interviewer comme j’aurais aimé, il reprend la route pour un autre enregistrement. Mais il me dit : “franchement, tu passes pas de meilleurs moments ici avec Luke et Ron que le cul assis sur une chaise dans mon bureau pour une p.... d’interview ?”. J’acquiesce, que voulez-vous répondre d’autre ?

On rentre chez Ron, avec Tom, l’assistant de Tim, qui sort discrètement la caméra, car on sent qu’il va se passer quelque chose. Ron prend la guitare, je sors le sax, il est 10h du soir, je n’ai rien mangé depuis ce matin, pris plus de bières que je n’ai l’habitude, en y ajoutant une liqueur que Capt Luke m’a recommandé de boire, pour faire passer la bière (“c’est ainsi qu’il faut boire, avec douceur”), et on commence à jouer, des nouvelles compositions de Ron, des morceaux inconnus pour moi, et ça marche, ça marche très bien !!!!. Ron est heureux, moi aussi, on commence à avoir des idées pour la suite. Je me couche avec un bonheur indescriptible. Mais on m’avait prévenu, c’est comme ça avec Big Ron, le bonheur fait homme.



1 Message

  • Musical journey in USA # 8 13 juin 2010 10:32, par Jean Jamin

    Cher Raphaël,

    C’est absolument passionnant ; et il faudra envisager une publication à ton retour.
    Ton article pour "L’Homme" a été accepté ; tu auras là aussi les épreuves à ton retour.
    En tout cas, bravo, pour cette mission qui s’avère très riche et excitante.
    On te lit avec beaucoup de plaisir.

    À bientôt, en toute amitié.
    Jean Jamin

    repondre message

Répondre à cet article


 

Mots clés






 

Extraits





N_Y Project
My klezmer dream (R.Imbert)
achat





Contact




Raphaël Imbert
Musicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique (...)

Retrouvez Raphaël Imbert

sur facebook

sur reverbnation

sur twitter



Abonnez vous

Suivre la vie du site à l'actualité

à l'agenda



 




espace