Raphaël ImbertMusicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique dans la grande famille du Jazz et des musiques improvisées, artiste et pédagogue exigeant, arrangeur et improvisateur recherché. L’un de ses domaines de prédilection est le spirituel dans le Jazz. ActualitésTextesExtraitsLiensAgenda |
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Je vous écris de la Savine le 16 juillet 2016
Point de vue Je vous écris de La Savine. Je vous écris des hauts d’un vent qui hurle un bleu incommensurable. De cette colline qui surplombe une ville en suspens, immense et lointaine. De cette cité que l’on dit difficile, habitué au mépris et à la violence. Au milieu des ses tours blanches et de ses pins maritimes, J’y ai vu le monde, j’y ai vu notre pays, j’y ai rencontré les hommes. Aix et son festival vient ici chanter les louanges de la Muse Marseille y accueille tout le monde, un instant peut être Mais un instant précieux Le monde est là, l’immonde en embuscade. Nice est passé d’une fête au massacre. Ils venaient en partage admirer les feux d’un jour national. On connaît la suite. Horreur de ces soirs d’attente, Ignominie de la sidération. La lumière attendue n’était que ténèbres. Je me réveillais alors plein de crainte. Que dis-je ? Je n’avais pas dormi. Je m’étais simplement réveillé à moi-même. Et face à la certitude de l’inconnu, Face à l’éternel recommencement, J’éclatais en sanglot. Qu’allais-je bien pouvoir dire à mes amis de la Méditerranée ? Tous ces jeunes magnifiques avec qui je travaille depuis plus d’une semaine. Ozan d’Istanbul, Jawa de Syrie Esteban d’Avignon Chrysanthi et Anastasios de Grèce Andre du Portugal Insaf d’Algérie Timothej de Slovénie Ghazi de Tunisie Rodolphe du Liban Tancredi de Sardaigne Et Jean-Luc, mon éternel compagnon de route des expérimentations fraternelles. Tous habités d’une même foi en la musique. Tous concernés une manière ou d’une autre par la crise et la terreur. Que faut-il déjà, pour chacun, de conviction pour prendre un instrument et le faire vivre ! Oui, ce matin-là, je me réveillais à moi-même d’un chagrin infini, De doute envers ma mission, de sentiment de vacuité et d’inutilité. Dernière répétition avant de rejoindre la Savine Pour un concert en l’honneur d’un lieu de culture unique Une école de musique au sein des cités, Une pépinière de rêves et de talents. Le genre d’endroit essentiel que l’on oubli trop facilement. Dernière répétition avant le concert et je ne sais que dire. J’en suis incapable. Jouer alors, simplement. Revenir à l’essentiel. Sans prévenir, entamer la mélodie qui soigne « Alabama » de Coltrane, l’hommage ultime pour toutes les victimes. Découvrir alors à nouveau que cette musique est universelle Nous jouons sans limite, sans attache, avec la larme qui sonne, l’alarme qui éveille. Coltrane est alors à Alep, à Beyrouth, à Alger et à Lisbonne. La veille avait pourtant si bien commencé. Nous avions rencontré ce chœur de la Savine Ces mères et ces enfants magnifiques Qui nous chantaient les berceuses de leurs Comores. Nous avions pleuré de joie, exaltés par nos échanges. Imaginez la scène Les quartiers Nord à Aix pour jouer avec la Méditerranée Combien d’origines, combien de parcours différents ? Peu importe Nous étions là, présents à nous-mêmes, ensemble Amateurs, professionnels, étudiants, enfants, parents Ensemble. Instant précieux. La veille avait pourtant si bien continué. Nous avions admiré le quatuor Arcanto dans Purcell, Britten et Beethoven. Jean-Guihen, Daniel, Tabea, Antje, un monument de sensibilité à eux quatre. Instant d’éternité. La veille aurait pu si bien se terminer Instant d’amitié autour d’un verre avec Mark, Emmanuelle, Emilie, Frédérique, Chikako Tous ses amis qui font d’un festival plus qu’un festival. Agape généreuse et subtile. Et puis, bêtement, ouvrir un écran pour découvrir l’horreur. Je vous écris de la Savine Je vous écris alors que s’illumine désormais Une lune couleur lait de riz Mars et Vénus en sœurs du ciel. Le champ de Mars côtoie le chant de Vénus Car il n’est question ici que d’amour J’ai l’impression soudaine d’en être le bénéficiaire Il n’y en a jamais trop Comprenne qui pourra La musique sert-elle dont à cela ? Ce soir, sur scène à la Savine Nous avons vu les habitants venir à nous Certains avec le drapeau français dans leurs mains, Prolongeant la fête par besoin de fraternité et de fierté Certains simple curieux, d’autres venus de loin. Tous avec cette faim de musique et de partage Tous communiant de nos sons et de nos chants Aucune indécence, aucun mépris Au contraire, nous avons profiter de l’amour D’habitants et de citoyens unis par la grâce d’être là. Ne me parlez pas d’angélisme, ne me parlez pas de naïveté Il y a autant d’amour que de haine Autant profiter de l’un quand l’autre exulte Aurions nous tort de l’apprécier parce qu’aucune caméra ne vient alors en témoigner ? C’est nous qui sommes là, eux qui sont absents Incapables désormais de rendre compte du moment Quand l’instantané prime sur l’instant Urgence nouvelle contre urgence des cœurs Mon angélisme est aussi apte à répondre à la folie des hommes Notre musique est aussi prompte à trouver la solution Notre art ne tue personne mais fait peur aux fébriles Soli nous l’a dit « N’oublions pas Ibrahim Ali et Jouons pour les victimes de Nice » Il a créé une école de musique pour cela Quand d’autres prennent les armes. Ses mots touchent autant que les balles Les dégâts en moins, l’espoir en plus. Je vous écris de la Savine Je peux vous dire que notre concert s’est bien passé Il a eu lieu Je vous écris de la Savine Je peux vous dire que « mes » jeunes de Méditerranée Les mamans, enfants et amis d’ici L’équipe et les musiciens relais Pour moi, ils sont des héros Rien de bien téméraire Rien de bien dangereux Mais il faut du courage pour ne simplement pas abandonner Je me réveillais plein de doute Je repars à nouveau Je vous écris de la Savine Le monde continue de tourner C’est Istanbul qui maintenant crépite Je vous écris de la Savine J’y ai vu le monde, j’y ai rencontré les hommes. |
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