Raphaël Imbert

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Je vous écris de la Savine



le 16 juillet 2016 
 Point de vue 
 



 

Je vous écris de La Savine.

Je vous écris des hauts d’un vent qui hurle un bleu incommensurable.

De cette colline qui surplombe une ville en suspens, immense et lointaine.

De cette cité que l’on dit difficile, habitué au mépris et à la violence.

Au milieu des ses tours blanches et de ses pins maritimes,

J’y ai vu le monde, j’y ai vu notre pays, j’y ai rencontré les hommes.

Aix et son festival vient ici chanter les louanges de la Muse

Marseille y accueille tout le monde, un instant peut être

Mais un instant précieux

Le monde est là, l’immonde en embuscade.

Nice est passé d’une fête au massacre.

Ils venaient en partage admirer les feux d’un jour national.

On connaît la suite. Horreur de ces soirs d’attente,

Ignominie de la sidération.

La lumière attendue n’était que ténèbres.

Je me réveillais alors plein de crainte.

Que dis-je ? Je n’avais pas dormi.

Je m’étais simplement réveillé à moi-même.

Et face à la certitude de l’inconnu,

Face à l’éternel recommencement,

J’éclatais en sanglot.

Qu’allais-je bien pouvoir dire à mes amis de la Méditerranée ?

Tous ces jeunes magnifiques avec qui je travaille depuis plus d’une semaine.

Ozan d’Istanbul,

Jawa de Syrie

Esteban d’Avignon

Chrysanthi et Anastasios de Grèce

Andre du Portugal

Insaf d’Algérie

Timothej de Slovénie

Ghazi de Tunisie

Rodolphe du Liban

Tancredi de Sardaigne

Et Jean-Luc, mon éternel compagnon de route des expérimentations fraternelles.

Tous habités d’une même foi en la musique.

Tous concernés une manière ou d’une autre par la crise et la terreur.

Que faut-il déjà, pour chacun, de conviction pour prendre un instrument et le faire vivre !

Oui, ce matin-là, je me réveillais à moi-même d’un chagrin infini,

De doute envers ma mission, de sentiment de vacuité et d’inutilité.

Dernière répétition avant de rejoindre la Savine

Pour un concert en l’honneur d’un lieu de culture unique

Une école de musique au sein des cités,

Une pépinière de rêves et de talents.

Le genre d’endroit essentiel que l’on oubli trop facilement.

Dernière répétition avant le concert et je ne sais que dire.

J’en suis incapable.

Jouer alors, simplement.

Revenir à l’essentiel.

Sans prévenir, entamer la mélodie qui soigne

« Alabama » de Coltrane,

l’hommage ultime pour toutes les victimes.

Découvrir alors à nouveau que cette musique est universelle

Nous jouons sans limite, sans attache, avec la larme qui sonne, l’alarme qui éveille.

Coltrane est alors à Alep, à Beyrouth, à Alger et à Lisbonne.

La veille avait pourtant si bien commencé.

Nous avions rencontré ce chœur de la Savine

Ces mères et ces enfants magnifiques

Qui nous chantaient les berceuses de leurs Comores.

Nous avions pleuré de joie, exaltés par nos échanges.

Imaginez la scène

Les quartiers Nord à Aix pour jouer avec la Méditerranée

Combien d’origines, combien de parcours différents ?

Peu importe

Nous étions là, présents à nous-mêmes, ensemble

Amateurs, professionnels, étudiants, enfants, parents

Ensemble. Instant précieux.

La veille avait pourtant si bien continué.

Nous avions admiré le quatuor Arcanto dans Purcell, Britten et Beethoven.

Jean-Guihen, Daniel, Tabea, Antje, un monument de sensibilité à eux quatre.

Instant d’éternité.

La veille aurait pu si bien se terminer

Instant d’amitié autour d’un verre avec Mark, Emmanuelle, Emilie, Frédérique, Chikako

Tous ses amis qui font d’un festival plus qu’un festival.

Agape généreuse et subtile.

Et puis, bêtement, ouvrir un écran pour découvrir l’horreur.

Je vous écris de la Savine

Je vous écris alors que s’illumine désormais

Une lune couleur lait de riz

Mars et Vénus en sœurs du ciel.

Le champ de Mars côtoie le chant de Vénus

Car il n’est question ici que d’amour

J’ai l’impression soudaine d’en être le bénéficiaire

Il n’y en a jamais trop

Comprenne qui pourra

La musique sert-elle dont à cela ?

Ce soir, sur scène à la Savine

Nous avons vu les habitants venir à nous

Certains avec le drapeau français dans leurs mains,

Prolongeant la fête par besoin de fraternité et de fierté

Certains simple curieux, d’autres venus de loin.

Tous avec cette faim de musique et de partage

Tous communiant de nos sons et de nos chants

Aucune indécence, aucun mépris

Au contraire, nous avons profiter de l’amour

D’habitants et de citoyens unis par la grâce d’être là.

Ne me parlez pas d’angélisme, ne me parlez pas de naïveté

Il y a autant d’amour que de haine

Autant profiter de l’un quand l’autre exulte

Aurions nous tort de l’apprécier parce qu’aucune caméra ne vient alors en témoigner ?

C’est nous qui sommes là, eux qui sont absents

Incapables désormais de rendre compte du moment

Quand l’instantané prime sur l’instant

Urgence nouvelle contre urgence des cœurs

Mon angélisme est aussi apte à répondre à la folie des hommes

Notre musique est aussi prompte à trouver la solution

Notre art ne tue personne mais fait peur aux fébriles

Soli nous l’a dit « N’oublions pas Ibrahim Ali et

Jouons pour les victimes de Nice »

Il a créé une école de musique pour cela

Quand d’autres prennent les armes.

Ses mots touchent autant que les balles

Les dégâts en moins, l’espoir en plus.

Je vous écris de la Savine

Je peux vous dire que notre concert s’est bien passé

Il a eu lieu

Je vous écris de la Savine

Je peux vous dire que « mes » jeunes de Méditerranée

Les mamans, enfants et amis d’ici

L’équipe et les musiciens relais

Pour moi, ils sont des héros

Rien de bien téméraire

Rien de bien dangereux

Mais il faut du courage pour ne simplement pas abandonner

Je me réveillais plein de doute

Je repars à nouveau

Je vous écris de la Savine

Le monde continue de tourner

C’est Istanbul qui maintenant crépite

Je vous écris de la Savine

J’y ai vu le monde, j’y ai rencontré les hommes.



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Musicien autodidacte né en 1974, Raphaël Imbert poursuit un chemin atypique (...)

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